Plus de 3 000 détenus de Denver ont quitté leurs cellules au cours des derniers mois. Non, la ville n’est pas redevenue un bled perdu du Colorado où les chasseurs de primes font la loi, comme à l’époque de la ruée vers l’or ! Ces prisonniers ont simplement été transférés pour faire de la place en cas d’arrestations massives pendant la convention démocrate, qui se tiendra du 25 au 28 août.
Denver, belle ville blottie dans les Rocheuses (à un mille d’altitude, d’où son surnom de « Mile High City »), accueillera en effet un rassemblement politique historique, qui consacrera le premier candidat noir à la présidence des États-Unis. Et on craint que de nombreux manifestants ne viennent perturber l’une ou l’autre des 1 500 réceptions (!) prévues et, surtout, les discours, qui s’étaleront sur quatre jours. Des dizaines de milliers de représentants de diverses organisations, pacifistes pour la plupart, s’apprêtent à planter leurs tentes dans des parcs, non loin de l’aréna de l’équipe de hockey l’Avalanche, où se déroulera le congrès.
Un groupe appelé Recreate ’68, opposé à la guerre en Irak, a annoncé son intention de s’inspirer du mouvement de protestation contre la guerre au Viêt Nam, qui a perturbé la convention démocrate de Chicago, en 1968. Les porte-parole ne cachent pas qu’il pourrait y avoir de la violence si les activistes se sentent provoqués par la police.
Ce congrès sera historique à plus d’un titre. Barack Obama présentera son discours d’investiture au Stade Invesco, immense terrain de jeu des Broncos, l’équipe de football de la NFL. Un seul autre candidat présidentiel a fait son discours d’investiture dans un stade de football : le mythique John F. Kennedy, à Los Angeles, en 1960. L’auditoire sera impressionnant — le stade compte 76 000 places — et le symbole puissant : le 28 août marquera le 45e anniversaire du célèbre discours « I Have a Dream », prononcé par Martin Luther King à Washington, en 1963.
À deux semaines ou presque du grand jour, la ville de 2,5 millions d’habitants, en comptant les banlieues — presque autant que l’agglomération montréalaise —, a perdu ses allures tranquilles. Les chambres d’hôtel sont toutes réservées, on doit faire la queue pour obtenir une place dans un resto du centre-ville et certaines rues sont déjà fermées à la circulation. Plus de 50 000 visiteurs sont attendus.
Les commerçants ont bien l’intention de profiter de la manne. Le « LoDo », comme on surnomme le lower downtown (basse ville), fourmille déjà d’activités. Dans la 16e Rue, artère piétonnière qui traverse Denver, le grand magasin de souvenirs Wild West déborde d’articles rappelant l’histoire de l’Ouest, du chapeau aux bottes de cowboy en passant par un caillou qui imite une pépite d’or ! « Welcome to Denver ! » me dit Tom Noel, 64 ans. Professeur d’histoire à l’Université du Colorado, il a écrit une trentaine de livres sur cet État qui doit son nom — « coloré », en espagnol — à son sable et à ses magnifiques rochers rouges. Attablé au resto Baur, au centre-ville, Tom Noel rappelle que Denver est née à l’époque du Klondike, grâce à ses mines d’or et d’argent. Après avoir été connue pour ses saloons et longtemps désignée comme la « cowtown » de l’Ouest, elle est aujourd’hui une ville moderne, qui vante son architecture avant-gardiste (dont celle du Musée des beaux-arts, signée Daniel Libeskind), son savoir-faire en biotechnologie et en médecine… Le Colorado revendique même la paternité des sandales Crocs — mais les Québécois, eux, savent qu’elles sont nées chez eux et ont été vendues à des Américains ! « Denver possède le sixième aéroport en importance aux États-Unis. Et on y trouve de nombreux consulats, dont celui du Canada », ajoute Tom Noel.
Denver compte bien profiter de ces quatre jours pour se donner une envergure internationale. D’autant que quelque 600 représentants des gouvernements de 100 pays y sont attendus. Et que les médias seront présents en masse pour assurer la couverture du sacre d’Obama : plus de 15 000 accréditations ont été délivrées à des journalistes, réalisateurs, caméramans, etc.
Le choix de Denver n’est pas anodin de la part des démocrates…
Au Colorado, plus du tiers des électeurs se disent sans réels liens politiques, soit autant que le pourcentage de partisans démocrates (34 %) ou de républicains (31 %). Si le candidat à la présidence John Kerry avait obtenu les 19 votes des États du Colorado, du Nevada et du Nouveau-Mexique, en 2004, il aurait été élu à la place de George W. Bush. Mais il n’a pas su séduire ces électeurs indépendants. Cette fois, le parti les courtise énergiquement, encouragé par le fait qu’ils ont voté majoritairement pour des candidats démocrates aux élections de mi-mandat, en 2006.
Le thème de ces quatre jours sera la démocratie. Les démocrates désirent profiter de l’occasion pour redonner aux États-Unis leur notoriété d’autrefois, après les années sombres de l’administration Bush. De nombreux séminaires seront dirigés par Madeleine Albright, secrétaire d’État dans le gouvernement de Bill Clinton. Par ailleurs, une exposition, dans le stationnement du Stade Invesco, reconstituera le Bureau ovale du président et présentera aussi des objets ayant appartenu à d’anciens locataires de la Maison-Blanche.
Sans conteste, les organisateurs voient grand. Ils ont la prétention de préparer l’assemblée d’investiture la plus « verte » de l’histoire. General Motors, commanditaire officiel, fournira aux 3 000 chauffeurs bénévoles chargés d’assurer le transport des délégués et autres invités de marque des véhicules hybrides ou roulant à l’éthanol. Lequel éthanol sera fait à partir des rejets de fabrication des bières Coors. Par ailleurs, 1 000 bicyclettes seront mises gratuitement à la disposition des 5 000 délégués. Et l’utilisation des transports en commun sera fortement encouragée. Le plan, qui comprend 10 points principaux, est ambitieux.
Katherine Archuleta, conseillère principale du maire John Hickenlooper, ne dort pas beaucoup ces temps-ci. Son patron est le « collecteur de fonds en chef » de la convention. Et le comité responsable des commandites peine à trouver les 50 millions de dollars nécessaires à la tenue du congrès. Le jour de notre rencontre, au début de juillet, il manquait encore 20 millions... Du coup, on a dû annuler certaines activités, dont les deux douzaines de fêtes d’ouverture des délégations des différents États.
Katherine Archuleta n’est pas la seule à mal dormir. Depuis des semaines déjà, vers 2 h du matin, les habitants de Denver sont réveillés plusieurs nuits par semaine par le bruit des hélicoptères qui survolent la région à basse altitude. Après le 11 septembre 2001, la sécurité lors des grands rassemblements a été maximisée. Et la décision de Barack Obama de prononcer son discours d’investiture devant un public aussi vaste crée des inquiétudes supplémentaires. Les Américains ne sont pas sans penser aux assassinats de John F. Kennedy et de Martin Luther King...
Les habitants de Denver sont enthousiastes à la veille de la convention : pas moins de 22 000 bénévoles sont déjà inscrits à l’un des innombrables comités. Mais d’autres sont moins ravis. Au point qu’une agence de voyages de Denver a organisé la « grande escapade », un tour du Colorado en autocar d’une durée de six jours. Elle compte bien que quelques centaines de personnes préféreront fuir l’avalanche de politiciens, les fêtards et l’interminable trafic !
Catherine Cano - Canovision
* Article publié dans la revue l'Actualité - septembre 2008
Friday, August 15, 2008
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